Charles Dickens (1812-1870)

Comme chacun sait ou devrait savoir, il est l'un des grands génies de la littérature universelle - l'égal de Rabelais, Shakespeare ou Cervantès. On l'a souvent comparé à Balzac, mais pour être juste, il faudrait associer à ce nom glorieux ceux de Hugo, Voltaire, Nodier, Gauthier et pourquoi, pas celui du Flaubert de Bouvard et Pécuchet... Sa présence un peu anecdotique, il est vrai, dans cette anthologie des "maîtres du nonsense", s'explique tout naturellement par son extraordinaire habilité à "portraiturer" les originaux, les excentriques, à leur inventer un langage où le choc des mots résonne du vide intersidéral de la pensée mais d'où la poésie de l'incongru, qui nous est chère, déborde à grands flots. On trouve de telles pièces dans la plupart de ses romans et de ses contes ( qu'on songe au Monsieur Dick de David Copperfield qui écrit ses formules savantes sur les ailes de ses cerfs-volants...) mais c'est surtout dans ses premiers textes, Les Esquisses par Boz et Les papiers posthumes du Pickwick club, écrits entre 1833 et 1837, que son tempérament comique donne sa pleine mesure. Certains passages des Mufdog papers, extraits des Esquisses par Boz et récemment réédités par les éditions du Rocher sous le titre "Les chroniques de Mufdog", sont des parodies satiriques de discours de réformateurs et d'inventeurs en tout genres, comme Dickens devait en entendre beaucoup à cette époque, puisqu'il officiait comme sténographe au tribunal ecclésiastique et au Parlement ! Les amateurs de nonsense anglais apprécieront à leur juste valeur les propositions ineptes des membres de la Société de Mufdog pour l'Avancement de Toutes Choses dons nous vous proposons ici un spécimen.

M.T.W. Beauchamp

Zoologie et botanique grande salle du cochon et de la botte d'amadou

"La journée était on ne peut plus remarquable. Le soleil inondait la pièce et dardait ses rayons brillants sur tout, mettant en relief les nobles visages des professeurs et des scientifiques dont les têtes chauves, rouges, brunes, grises, dures, noires, offraient un coup d'oeil qu'aucune de personnes présentes n'oubliera de si tôt. Étalés devant ces gentlemen, il y avait des papiers et des encriers ; et tout autour de la salle, sur des gradins occupant le moindre espace disponible, se trouvaient assemblées ces femmes charmantes et élégantes qui valent à Mufdog une renommée sans pareille dans le monde entier. Aussi longtemps que ma mémoire me restera fidèle je me souviendrai du contraste notoire entre leurs visages pâles et les habits sombres des représentants de la communauté scientifique.

Après une légère confusion provoquée par l'effondrement de la majeure partie de l'estrade, le président invita l'un des secrétaires à lire une communication intitulée : "quelques réflexions sur les puces laborieuses, et sur la nécessité de créer des maternelles parmi cette classe industrieuse de la société ; de diriger leurs activités vers des fins utiles et pratiques ; e de consacrer l'excédent de leur production à assurer une retraite confortable et respectable aux plus âgées d'entre elles ".

L'auteur rapportait que s'étant longtemps intéressé à la condition morale et sociale de ces animaux remarquables, il avait fini par visiter une exposition qui se tenait à Regent Street, à Londres, sur le thème : "les puces savantes". Il avait vu là d'innombrables puces se livrant à diverses activités, dans des conditions qui auraient fait chavirer le coeur de tout être humain sensé et sensible. Une puce, réduite à la fonction de bête de somme, tirait un cabriolet miniature contenant une effigie de sa Grâce le Duc de Wellington ; une autre titubait lamentablement sous le poids d'une figurine dorée représentant son fameux adversaire : Napoléon Bonaparte. D'aucunes ayant reçu une formation de saltimbanque ou de danseuse étoile répétaient une chorégraphie précise (l'observateur était désolé de devoir préciser que la plupart des puces employées pour cette tâche étaient des femelles) ; d'autres s'entraînaient dans de petites boîtes en carton, deux puces se livraient à une activité sanglante et barbare, qui provoque le dégoût et l'horreur de l'humanité : le duel. Le correspondant suggérait que des mesures soient prises sans tarder pour intégrer le labeur de ces puces dans la force de production du pays. Il suffirait pour ce faire de créer des écoles maternelles et des usines, au sein desquelles un système d'éducation vertueuse, se fondant sur des principes sains, pourrait être dispensé en même temps que des préceptes stricts. Il proposait en outre que toute puce qui se produisait dans quelque secteur artistique que ce fût - musique, danse, théâtre - sans posséder de licence, soit considérée comme vagabonde et traitée en conséquence ; ce qui la mettrait à égalité Avec le reste de l'humanité. Il suggérait encore que leur travail soit placé sous le contrôle et la responsabilité de l'Etat, qui déduirait des profits enregistrés, une somme devant être affectée au soutien des puces retraitées ou invalides, des veuves et des orphelins. Il suggérait dans cet esprit que des récompenses soient offertes aus 3 meilleurs projets pour la construction d'un hospice général. Il est bien connu que les insectes sont très évolués en matière d'architecture, aussi sommes-nous en droit d'espérer pouvoir retirer de leurs plans quelques idées estimables pour l'amélioration de nos universités métropolitaines, de nos galeries nationales et autres édifices publics.

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