PORTRAIT

Charles Baudelaire

 

Charles Baudelaire n'est pas à proprement parler l'archétype de l'auteur de nonsense. Pourtant, à y regarder de plus près, on constate dans son œuvre la permanence du sentiment de l'étrange, du bizarre, et parfois même, comme dans ses " petits poèmes en prose ", du grotesque à la mode d'Hoffmann et d'Edgar Allan Poe. Dans son essai, " De l'essence du rire ", il oppose le " comique significatif " dont le langage est plus clair, plus facile à comprendre par le vulgaire et surtout plus facile à analyser, son élément étant visiblement double : " l'art et l'idée morale au " comique absolu "… qui se rapproche beaucoup plus de la nature, se présente sous une espèce une qui veut être saisie par une intuition ". Et il ajoute quelques lignes plus loin : " j'ai dit comique et absolu, il faut toujours prendre garde. Au point de vue de l'absolu définitif, il n'y a plus que de la joie. 3 Par-delà les rires et les larmes d'une humanité déchue, par-delà le rictus orgueilleux de Melmoth, il y a encore place pour la joie de l'homme sensible, du poète initié au " langage des fleurs et des choses muettes ". Relisez " la corde " ou le " joujou du pauvre " et voyez comme l'anecdote pathétique se teinte d'une nuance d'ironie effondrée qui fait discrètement passer le texte du côté de l'étrange et de l'humour noir… Voici par ailleurs un poème nonsensique de Charles Baudelaire, le seul à ma connaissance, extrait du volume " œuvres complètes " de la collection Bouquins, chez Robert Laffont, p 351. (Ange du bizarre, es-tu là ?).

" Il aperçoit entre la lune et lui un grand chat noir, posé sur le bout de ses pattes, faisant le gros dos en miaulant avec une voix semblable au bruit du moulin à eau. Bientôt il le vit s'enfler jusqu'au ciel en se tournant sur sa jambe gauche de derrière, l'animal pirouetta jusqu'à ce qu'il tombât par terre, d'où il se releva dans la forme d'un saumon, avec une cravate autour de son cou et une paire de bottes à revers ". Baudelaire dans ses " Fusées " évoquait la possible conception " d'un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou féerique, pour une pantomime " et entendait " traduire cela dans un roman sérieux " tout en " noyant le tout dans une atmosphère anormale et songeuse - dans l'atmosphère des grands jours. Que ce soit quelque chose de berçant, et même serein dans la passion. - Régions de la poésie pure. " On voit par là que le poète des " Fleurs du mal ", épris de merveilleux, de sorcellerie et de romanesque et qui considérait le " surnaturalisme et l'ironie " comme " deux qualités littéraires fondamentales " était loin d'être insensible aux séductions de l'humour de l'impossible, bref, du nonsense…

Nonsensia

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